Oscar Wilde, Bernanos, Montaigne… Pour ces figures célèbres, l’art de la persuasion ne relève pas d’un rapport de force mais d’un jeu subtil avec autrui. Démonstration par Philippe Bazin, coach et associé chez Krauthammer.
Savoir écouter , agréger des arguments contraires, transmettre un ressenti, donner à penser, bref influencer, est une vieille affaire qui a mobilisé écrivains et philosophes au cours de l’Histoire. Au travers de sentences courtes et évocatrices, ils nous livrent un concentré d’expériences qui nous éclaire encore aujourd’hui. Florilège commenté.
1. « Quand les gens sont de mon avis, j’ai toujours le sentiment de m’être trompé« , Oscar Wilde
Difficile d’avoir des certitudes devant le silence ou l’agrément d’apparence unanime d’un auditoire. Il ne s’agit pas de vouloir faire consensus à tout prix avec l’idée de gagner (donc avec la peur de perdre), mais d’échanger en favorisant l’interaction, en suscitant la contradiction. De deux vérités qui s’opposent en surgira une troisième. On y parvient en en écoutant, en entrant en empathie avec l’autre, en cherchant à comprendre son point de vue, sa logique et en intégrant certaines de ses idées à sa propre pensée, ou en la formulant différemment. Ce qui musclera son opinion, et lui donnera plus d’impact.
>> Synchronisez-vous avec autrui par la posture, les gestes, la voix; repérez les points forts comme les failles dans son argumentation afin de creuser les doutes à votre avantage.
2. « Le mépris tourne vite à l’éloquence, comme le sang d’un hydropique tourne en eau« , Georges Bernanos
Imposer ses opinions par le pouvoir, par une supériorité affichée (ou non consciente), conduit à boursoufler son discours, créant de la dissonance, du conflit, des émotions intenses. Les gens s’interrogeront : parle-t-il pour lui ou pour moi ? Avoir ainsi à fleur de peau, un avis tranché, énoncé sans précautions sera contre-productif. Mieux vaut être une éponge molle à noyau dur, autrement dit être souple, flexible, doux autour du noyau dur de sa conviction.
>> Influencez plutôt que de chercher à dominer et mettez en avant des valeurs et principes communs dans lesquels l’autre pourra se reconnaître.
3. « L’important n’est pas de convaincre mais de donner à réfléchir », Bernard Werber
On ne peut rien vendre si on ne crée pas dans la tête de son interlocuteur les conditions pour qu’il achète. Un procédé consiste à lui poser des questions qui aillent dans le sens que vous souhaitez afin d’enclencher chez lui un processus d’auto-conviction. Exemple: « Je pense que tu peux atteindre cet objectif. Peux-tu me rappeler toutes les situations où tu as excellé dans ton job ?… Penses-y, on en reparle demain. » L’autre va travailler la remarque, la modifier, et la réfléchir, dans les deux significations du verbe : remuer ses méninges et renvoyer ses vues. Ce qui poussera l’émetteur du message à faire évoluer sa position. Donc à entamer une négociation intelligente.
>> Créez de la confiance, voire de la connivence et expliquez les gains que l’autre peut attendre de son ralliement à votre thèse.
4. « Pour convaincre, la vérité ne suffit pas », Isaac Asinov (écrivain de science- fiction)
Aligner des faits, des chiffres, des références, des témoignages ne sera jamais suffisant pour emporter l’adhésion. Ces arguments imparables, émanent le plus souvent de cerveaux froids, analytiques. « Les gens comprennent mon plan stratégique mais il ne se passe rien », se plaignent souvent les dirigeants. Oui, parce qu’ils ont obtenu un accord, mais pas un engagement. Les collaborateurs répondent au rationnel par du rationnel. Ils exécutent, sincèrement, avec professionnalisme, mais le coeur, n’y est pas. Au mieux, ils sont embarqués en jouant le jeu, au pire ils sont désengagés et néfastes, prêts à torpiller le projet.
>> Impliquez-vous ; soyez enthousiaste en disant « nous » ; parler d’intérêt commun ; insistez sur ce qui est positif et essentiel ; faites rêver ; lâchez prise et laissez l’équipe trouver son propre chemin.
5. « La parole est à moitié à celui qui écoute, à moitié à celui qui parle », Montaigne
« Cettui-ci se doit préparer à la recevoir [la parole], selon le branle [mouvement] qu’elle prend. Comme entre ceux qui jouent à la paume, celui qui soutient, se démarche et s’apprête, selon qu’il voit remuer celui qui lui jette le coup, et selon la forme du coup », rajoute le penseur dans ses Essais (livre III)… De fait, le ton, avec lequel est dit le message, la façon dont il est délivré fait partie du contenu et il ne sera compris que s’il est entendu sur ce registre-là, verbal et non verbal. Gare alors à ne pas s’enfermer dans l’art oratoire. La résonance chez l’autre est capitale. Depuis vingt ans, les neurosciences ont mis en évidence l’existence dans le cerveau de neurones-miroir qui ont la capacité de se mettre en connexion avec autrui, dès que celui-ci agit, au point qu’on se voit agir à sa place, ressentir ce qu’il ressent. Un atout considérable dans la persuasion.
>> Trouvez les bons mots, la bonne gestuelle, le bon regard, la bonne respiration pour appuyer et transmettre votre opinion ; montrez-vous exemplaire pour susciter l’imitation.
Philippe Bazin est l’auteur de « Les vrais secrets du leadership », InterEditions, juin 2014.
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